Géraldine LAY
Archipel 2016 - 2019
LE TEIL - Centre ville
la Caravane-Monde
Samedi et dimanche : 15h – 19h
47, rue Kléber – Le Teil




Partir au Japon relevait d’un besoin de libérer mon regard, ne pas rejouer ce qui avait déjà été exprimé en Europe dans les séries précédentes Failles Ordinaires et North End. Lors de mon premier séjour au Japon en 2016, j’ai fait peu de photographies. Je n’ai compris qu’à mon retour, à la lecture des planches contacts, ce qu’il pouvait y avoir de nouveau à mes yeux dans ces photographies. Sans chercher à donner du sens aux photographies que j’avais prises instinctivement en marchant, comme j’aime le faire, je décidai de repartir au Japon.
S’en suivit trois séjours de trois semaines en trois ans. Quatre séjours au total. Une chose de sûre : c’est de loin insuffisant pour sortir de ma peau de Gaijin : une « estrangère ». Je me rassure un peu en apprenant que les Américains, avant d’occuper le Japon en 1945, demandèrent à une anthropologue émérite la rédaction d’un ouvrage : « Le Chrysanthème et le Sabre » afin de comprendre ce peuple dont le fonctionnement leur était encore plus inconcevable que ceux des Sioux ou des Comanches. Les Japonais, dans leur cosmogonie sont divins, tout simplement tombés du ciel. Ce prodige, entre autres chose bien sûr, nous écarte sur l’appréhension du monde. Une altérité immense en préambule de tout voyage au Japon.
A regarder mes photographies, je n’ai pu au mieux témoigner que d’une vision intime, une aventure sans but avéré. Si je guettais auparavant l’expression d’un visage, d’une lumière ou une scène singulière pour une photographie déjà prise et comprise dans ma tête. Au Japon, les personnes photographiées semblent muettes ; prise dans un jeu des structures, d’aplats. Est-ce le fait de l’altérité, de l’incompréhension due au langage, il émane de ces lieux, des visages croisés et des regards échangés, parfois violents, une sensation d’étrangeté et de sidération. Cela me rappelle un passage de Chronique japonaise, écrit par Nicolas Bouvier : “Autrefois comme aujourd’hui, les gens de ce pays vivaient secrètement : alors il fallait qu’on espionne“.
Arpenter les lieux emblématiques du Japon, c’est aussi confronter son imaginaire à celui d’une population qui s’est construite sur une nature chaotique. La disposition au surnaturel est un fait culturel. Au Japon et pour les cultures influencées du shinto et du bouddhisme, le folklore, chargé de fantômes, de métamorphoses, d’esprits, cohabite avec les humains.
Quel danger représente réellement ce nuage de cendres échappé du volcan Sakurajima ? Personne ne semble le craindre, excepter … ce petit garçon du film de Kore Eda et moi. Les Japonais cohabitent en apparence si bien avec cette montagne en colère.
Ce que l’on ne voit pas, le hors cadre, est avant tout une histoire de marche à pied. Marcher et encore marcher et relier des provinces un peu au hasard des stations de train. Hors de la mégalopole tokyoïte, certaines densément peuplées comme on s’imagine le Japon moderne, d’autres immensément vides, là où les évènements résonnent par échos lointains.
Me nourrissant des rencontres, je ne prétends pas comprendre ni expliquer ce pays. J’ai laissé libre cours à mes étonnements, m’enrichissant de mes découvertes. Comme Jérôme Ferrari l’écrit : “Ce que j’aime beaucoup dans l’écriture, ce n’est pas qu’elle permette de se raconter soi-même, ça devient lassant – c’est au contraire une façon de faire une expérience réelle de l’étrangeté. “
Géraldine Lay vit et travaille à Arles.
Diplômée de l’École nationale de la Photographie en 1997, elle est éditrice pour la photographie aux éditions Actes Sud.
Elle utilise la photographie de manière singulière pour illustrer sa façon sensible d’appréhender le monde : elle s’immerge dans le réel pour lui donner le souffle d’une fiction, lors de résidences mais le plus souvent librement. Elle expose régulièrement en solo à la galerie Le Réverbère à Lyon, depuis 2005, mais également dans des festivals comme les Rencontres d’Arles, Paris Photo ou encore Pingyao, en Chine.
Quatre monographies ont été éditées. Une cinquième sur son travail au Japon est en cours de préparation aux éditions Poursuite, ainsi qu’une exposition à la galerie Le Réverbère, avec le soutien du CNAP et de la galerie Le Réverbère, pendant la Biennale de Lyon, en septembre.
